Marie HUBER
1695-1753, philosophe et théologienne
Née le 4 mars 1695 à Genève et décédée le 13 juin 1753 à Lyon, Marie Huber est une philosophe et théologienne genevoise.
Marie Huber est la fille d’Anne-Catherine Calandrini et de Jean-Jacques Huber, négociant-banquier. Elle grandit avec ses très nombreux frères et sœurs, dans un milieu fortuné. Son grand-père du côté maternel, Bénédict Calandrini, professeur à l’Académie de Genève, est un théologien réputé de l’orthodoxie réformée, tandis que les parents de Marie Huber sont plutôt proches du mouvement piétiste, un courant spirituel protestant critique de l’organisation ecclésiastique établie, qui est alors jugée comme trop sécularisée. En 1711, elle s’installe avec sa famille à Lyon où elle réside, célibataire, jusqu’à sa mort. Marie Huber ne poursuit pas d’études régulières dans sa jeunesse, mais comme pour la plupart des femmes de son niveau social, il est probable que sa formation se fasse à la maison. Elle élève ensuite son esprit de manière autodidacte, se consacre aux bonnes œuvres et à la lecture de la Bible. Elle entretient également une correspondance avec son grand-oncle maternel, Nicolas Fatio de Duillier, géomètre et astronome genevois proche d’Isaac Newton et connu pour ses positions radicales sur le plan religieux.
Influencée par les sympathies piétistes de son entourage et se sentant appelée par une inspiration divine, Marie Huber se rend, à l’âge de 20 ans, seule à Genève, dans le but de réprimander la communauté citadine et ses pasteurs pour leurs mauvaises mœurs et leur manque de zèle. La tentative missionnaire se concluant par un échec, Marie Huber rentre à Lyon. Les correspondances familiales indiquent que cette mauvaise expérience la plonge dans un état de santé précaire nécessitant une retraite à la campagne, où elle demeure jusqu’en 1719. Elle semble alors renoncer à un engagement religieux actif jusqu’à la publication, sous anonymat, de son premier ouvrage en 1722, Écrit sur le jeu et les plaisirs, aujourd’hui perdu. En 1731, sont ensuite publiés vingt-quatre dialogues ou « promenades » à caractère philosophique intitulés Le monde fou préféré au monde sage ainsi qu’un traité religieux, Sentimens differens de quelques théologiens sur l’état des âmes séparées des corps. L’ouvrage critique la doctrine de l’éternité des peines après la mort, à laquelle elle s’oppose, en la jugeant incompatible avec l’idée de la bonté de Dieu.
À travers ces deux publications, qui ont connu un grand rayonnement, Marie Huber introduit les fondements de sa pensée théologique, qu’elle développe et radicalise dans son ouvrage principal, publié en 1738, Lettres sur la religion essentielle à l’homme. Elle ambitionne ici de parcourir l’intégralité de la théologie chrétienne, sa morale et ses institutions, qu’elle critique vivement. Elle affirme la priorité des vérités de foi simples et évidentes, et dès lors essentielles (comme l’existence de Dieu) vis-à-vis des dogmes de l’Église, obscures ou contradictoires, qui peuvent avoir été altérés par une mauvaise compréhension intellectuelle. Cette œuvre controversée suscite de nombreuses réponses de la part des théologiens de l’orthodoxie réformée. En 1753, Marie Huber revient à des questions philosophiques d’ordre moral et social, en publiant une traduction commentée d’articles sur les femmes et l’éducation, tirés du journal anglais The Spectator.
De son vivant, toutes les œuvres de Marie Huber sont publiées sans nom d’auteur, et souvent camouflées sous des fausses adresses éditoriales. Cependant, le voile de l’anonymat est soulevé au fil des controverses et l’identité féminine de l’auteur est questionnée à Genève. L’année suivant la disparition de Marie Huber, un ouvrage publié à titre posthume par sa famille à Lyon révèle enfin le nom de l’autrice.
Le parcours de vie de Marie Huber est en bonne partie insaisissable. En tant que philosophe et théologienne, elle a néanmoins influencé durablement la scène intellectuelle de son temps au vu des nombreuses traductions et rééditions de ses œuvres à Amsterdam, Londres et Genève ainsi que de l’usage, par Jean-Jacques Rousseau, des Lettres sur la religion essentielle comme une source principale d’inspiration pour écrire La profession de foi du vicaire savoyard.
Biographie : Pauline Debbiche et Daniela Solfaroli Camillocci
- Le monde fou préféré au monde sage, en vingt-quatre promenades de trois amis, Criton philosophe, Philon avocat, Eraste négociant, 2 vol., Amsterdam, J. Wetstein et Smith [Genève, Fabri et Barrillot ?], 1731.
- Sentimens differens de quelques théologiens sur l’état des âmes séparées des corps en quatorze lettres, [s.l.], [s.n.], 1731.
- Lettres sur la religion essentielle à l’homme, distinguée de ce qui n’en est que l’accessoire, Amsterdam, J. Wetstein et W. Smith, 1738.
- Reduction du Spectateur anglois, à ce qu’il renferme de meilleur, de plus utile et de plus agréable, 3 vol., Amsterdam, Zacharie Chatelain et fils, 1753
- Krumenacker, Yves, « Marie Huber », in Dictionnaire des femmes de l’ancienne France, SIEFAR (http://siefar.org/dictionnaire/fr/Marie_Huber).
- Pitassi, Maria-Cristina, « Le cas Marie Huber (1695-1753). Contexte, influences et censures d’une théologie radicale. Introduction », Revue d’histoire et de philosophie religieuse, 98e année, no 3, 2018, p. 231-237.
- Pitassi, Maria-Cristina, « Marie Huber », in Deuber Ziegler, Erica, Tikhonov, Natalia (dir.), Les femmes dans la mémoire de Genève, du XVe au XXe siècle, Genève, Susan Hurter, 2005, p. 66-67.
- Pitassi, Maria-Cristina, « Marie Huber », in Dictionnaire historique de la Suisse (www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F11227.php).