Lucette LEUBA
Source/Voix ouvrière, 11 octobre 1961

Lucette LEUBA

novembre 1961, ouvrière, syndicaliste et candidate au Grand Conseil de Genève

Lucette Leuba est une ouvrière et syndicaliste qui est candidate au Grand Conseil de Genève en novembre 1961.

Dans le cadre du projet 100Elles*, le nom de Lucette Leuba est d’abord le symbole de toutes celles qui connaissent des conditions de vie difficiles, induites par le croisement de deux « tares » sociales : être à la fois femme et ouvrière. Issue du prolétariat, Lucette Leuba subit en effet une double invisibilisation, celle provoquée par son appartenance sociale et celle provoquée par son genre. Au milieu des années 1960, les ouvrier.ère.s de Suisse romande subissent des conditions de vie difficiles dues aux bas salaires tout comme des mauvaises conditions de travail induites par le morcèlement de leurs tâches et par le travail à la chaine (monotonie, surveillance ou encore vexation). Iels souffrent en outre de l’absence de reconnaissance de leur fonction au sein de la société, ainsi que de l’absence de sécurité de l’emploi.

Les voix féminines et leurs difficultés spécifiques sont complexes à saisir, les femmes étant à la marge des mouvements ouvriers, largement dominés par les hommes. Quelques sources éparses permettent de savoir que la question des bas salaires touche particulièrement les ouvrières. En effet, au milieu des années 1960, un ouvrier qualifié suisse gagne en moyenne 1 090 francs suisses, un ouvrier non qualifié 985 francs, tandis que la moyenne des salaires attribués aux ouvrières est de 630 francs. Une différence notable à laquelle s’ajoute le fait que la plupart d’entre elles sont payées à la pièce – c’est-à-dire que la rémunération du travail se calcule par unité de marchandise produite –, un mode de rétribution très précarisant. Les ouvrières sont en outre particulièrement affectées par des journées de travail trop longues. Une femme travaillant dans une usine métallurgique de Genève raconte, par exemple, que sa première journée à l’usine court de sept heures du matin à dix-huit heures, lui laissant peu de temps pour sa seconde journée de travail au sein de son foyer où elle doit y faire la cuisine, le ménage, les commissions ou encore le repassage, lui interdisant tout moment de repos et de loisir. Selon des témoignages, la dureté du travail en usine, notamment les gestes répétitifs auxquels les femmes sont davantage astreintes, oblige les travailleuses à prendre des calmants pour supporter la douleur.

Le nom de Lucette Leuba symbolise ensuite les combats syndicaux et politiques menés par certaines ouvrières pour modifier leurs conditions de vie. Suite à la votation populaire fédérale de 1959 qui voit le droit de vote refusé aux femmes par 66,9 % du corps électoral masculin, le canton de Genève (comme Vaud et Neuchâtel) adopte le droit de vote pour les femmes au niveau communal ainsi que cantonal. Lucette Leuba se présente alors comme candidate du Parti suisse du travail (PdT) lors des élections au Grand Conseil de Genève de 1961. Ce parti communiste et les femmes qui militent en son sein réclament entre autres le droit de vote au niveau fédéral, l’égalité dans la famille, des formations professionnelles égales, l’assurance-maternité obligatoire et l’égalité salariale. Dans ses colonnes, l’organe du PdT, Voix ouvrière, dresse un bref portrait accompagné de photographies des candidates. Lucette Leuba est sommairement présentée comme « ouvrière d’usine, militante syndicale ». Trente-sixième sur une liste de soixante-six candidat.e.s, la première femme est huitième, elle avait peu de chances d’être élue.


Biographie : Laure Piguet

Sources
  • « Femmes qui travaillez (sic), les bourgeois vous reprochent votre ‘gout du luxe’ ! », Voix ouvrière. Organe du Parti suisse du travail, 22 février 1961, p. 3.
  • « Votre page Madame. La ‘Journée internationale des femmes’ doit être en Suisse une journée de revendications », Voix ouvrière. Organe du Parti suisse du travail, 4 mars 1961, [non paginé].
  • « Genève. Les candidats du Parti du travail au Grand Conseil », Voix ouvrière. Organe du Parti suisse du travail, 4 octobre 1961, p. 5.
  • « Les candidates du Parti du travail », Voix ouvrière. Organe du Parti suisse du travail, 12 octobre 1961, [non paginé].
  • Tanner, Alain (réalisation), Torracinta Claude (journaliste), Les ouvriers suisses, 1966, 74 minutes.
Bibliographie
  • Batou, Jean, Cerutti, Mauro, Heimberg, Charles (dir.), Pour une histoire des gens sans Histoire. Ouvriers, exclues et rebelles en Suisse 19e-20e siècles, Lausanne, Éditions d’en bas, 1995.
  • Détraz, Christine (dir.), ‘C’était pas tous les jours dimanche…’. Vie quotidienne du monde ouvrier, Genève, 1890-1950, Genève, Musée d’ethnographie, Fondation du Collègue du travail, 1992.
  • Lachat, Stéphanie, Les pionnières du temps. Vies professionnelles et familiales des ouvrières de l’industrie horlogère suisse (1870-1970), Neuchâtel, Alphil, 2014.
  • Studer, Brigitte, Vallotton, François, Histoire sociale et mouvement ouvrier. Un bilan historiographique 1848-1998, Lausanne, Éditions d’en bas, 1997.
  • Weber, Beat, Les travailleurs dans la cité. Vie syndicale à Genève, Lausanne, L’âge d’homme, 1987.

Emplacement temporaire des plaques du Projet 100Elles*

Femme* ayant obtenu un nom de rue officiel

100 Elles* - Le recueil

Retrouvez cette biographie dans le recueil

L’avenue Ruth Bösiger ? La rue Grisélidis Réal ? Ou le boulevard des Trente Immortelles de Genève ? Si ces noms ne vous disent rien, c’est parce que ces rues n’existent pas. Ou pas encore... À Genève, l'Escouade a fait surgir cent femmes* du passé où elles avaient été enfouies, en installant de nouveaux noms de rues dans la ville. Le livre 100Elles*constitue le recueil de ces cent portraits illustrés.

Cent biographies de femmes ayant marqué l'histoire du VIe au XXe siècle pour lutter contre l'effacement des figures féminines de la mémoire collective et les mécanismes patriarcaux de l’historiographie.

Cet ouvrage est le fruit d'un travail collaboratif, local et inclusif. Rédigé par des historiennes de l’Université de Genève et réalisé sous la direction de l’Escouade, il est illustré par dix artistes genevoises, alumnae de la HEAD – Genève, partenaire du projet.

Ouvrage disponible en librairie et sur le site des Editions Georg: https://www.georg.ch/livre-100elles