Louise SARRASIN
1551-1623, femme de lettres
Née le 29 janvier 1551 à Lyon et morte le 1er janvier 1623 à Genève, Louise Sarrasin est une femme savante, réputée, dès son enfance, pour sa connaissance approfondie des langues anciennes.
Peu après la naissance de Louise Sarrasin, ses parents, Louise Genin de Pennes et le médecin Philibert Sarrasin, abandonnent la ville de Lyon pour s’établir à Genève, en raison de leur appartenance religieuse protestante. Provenant de familles de la petite noblesse, iels s’intègrent à l’élite politique locale. Reçu comme habitant et bourgeois de Genève, son père est membre du Conseil des Deux-Cents et devient le médecin de confiance de Jean Calvin. Louise Sarrasin est éduquée avec ses trois frères. Elle se distingue par son intelligence précoce : à 8 ans, elle lit et comprend le latin, le grec et l’hébreu. Dans la dédicace à son fils Pierre d’un manuel de latin publié en 1559, le pasteur Louis Enoch, régent du Collège de Genève (l’actuel Collège Calvin), met en avant son exemple comme celui d’une élève modèle, qui devrait susciter l’émulation des « vrais » étudiants. Comment des garçons, écrit-il, nés à Genève, éduqués à l’école publique et dès lors nourris dans les lettres, pourraient-ils tolérer d’être moins bons élèves qu’une fille lyonnaise, éduquée à la maison ?!
Quelque temps après, Louise Sarrasin aurait même été admise au collège pour assister aux leçons avec les garçons, soit en raison de ses capacités qui font d’elle une fille hors norme, soit peut-être pour que sa présence suscite une profitable compétition entre élèves. Le poète et historien Théodore Agrippa d’Aubigné, qui a étudié à Genève, a été logé auprès de la famille Sarrasin entre 1565 et 1567, à l’âge de 13 ans. Dans une lettre qu’il écrit à ses deux filles, il se souvient, à quarante ans de distance, des progrès qu’il a faits dans l’apprentissage du grec, grâce à la discipline que Louise Sarrasin lui a imposée. Il loue l’intelligence et la culture d’une fille qui « à cause de son sexe estoit la merveille de sa maison ». Il cite également les compositions poétiques circulant alors en son honneur à Genève. Théodore Agrippa d’Aubigné compte son ancienne camarade d’études parmi « les femmes doctes de nostre siècle » et déclare que, comme elle avait achevé le cursus scolaire, elle aurait été en mesure, « si le sexe luy eust permis, de faire des leçons publiques ». Dans la conclusion de sa missive, il réprimande cependant ses filles, qui lui ont demandé l’autorisation de pouvoir étudier avec leurs frères. Exceptions mises à part, les sciences ne sont pas utiles aux demoiselles ordinaires, rappelle ce père. Il estime en effet que les études sont incompatibles avec le travail reproductif des femmes et qu’elles sont même source de conflits conjugaux.
Les quelques traces qui subsistent de la vie de Louise Sarrasin ne viennent pas contredire l’opinion sexiste du célèbre écrivain. Mariée trois fois, en 1571, en 1581, puis en 1602, d’abord à un riche marchand et politicien, ensuite à des médecins, Louise Sarrasin donne naissance à plusieurs enfants et disparait de la scène savante genevoise. Au moment de sa mort, les chroniques relatent cependant un autre fait extraordinaire à son sujet. Son dernier mari, le médecin Marco Offredi, étant presque aveugle, Louise Sarrasin l’aurait aidé pendant vingt ans à exercer sa profession, en lisant des livres pour lui et en rédigeant ses ordonnances. Elle aurait, en somme, émis le diagnostic de ses patient.e.s à ses côtés, ou à sa place.
Limitée, en raison des hiérarchies du genre, à une collaboration étroite avec les hommes de son entourage et peut-être à la sphère domestique, la pratique professionnelle de Louise Sarrasin n’a laissé qu’une trace anecdotique et a été invisibilisée sur le plan historique. C’est avec condescendance que les savants littérateurs et historiens genevois ont relaté son cas, comme celui d’un simple prodige local. Certes, Louise Sarrasin n’a pas laissé d’écrits qui témoignent de son savoir, mais il ne faut pas oublier que la pratique de la médecine a une longue tradition d’expertise et d’évaluation orales. Son père, médecin célèbre pour son érudition et sa compétence en matière de prévention des épidémies, n’a pas non plus produit d’œuvre écrite…
Biographie : Daniela Solfaroli Camillocci
- « À mes filles, touchant les femmes doctes de nostre siècle. Lettre (vers 1600) », in Œuvres complètes de Théodore Agrippa d’Aubigné, tome 1, Genève, Slatkine, 1967, p. 445-450.
- Énoch, Louis, Partitionum Grammaticarum, liber secundus et tertius, [Genève], Conrad Badius, 1559.
- Geisendorf, Paul-Frédéric, Les annalistes genevois du début du dix-septième siècle. Savion, Piaget, Perrin, Genève, Jullien, Georg, 1942, p. 633.
- Galiffe, James A., Notices généalogiques sur les familles genevoises. Depuis les premiers temps jusqu’à nos jours, vol. 2, Genève, J. Jullien, 1892, p. 483.
- Gautier, Jean-Antoine, Histoire de Genève des origines à l’année 1691, tome 7 : De l’année 1609 à l’année 1671, Genève, Société générale d’imprimerie, 1909.
- Gautier, Léon, La médecine à Genève jusqu’à la fin du dix-huitième siècle, Genève, Jullien, Georg, 1906.
- Michaud, Louis-Gabriel, Biographie universelle, ancienne et moderne, vol. 81 : Supplément, Paris, Beck, 1847, p. 123.
- Sarasin, Hubert, Famille Sarasin, tapuscrit, Genève, 2019.