Jeanne BAUD
Représentation nocturne de l’Escalade, provenant de l’Album amicorum de von Frisching, vers 1620, Burgerbibliothek, Berne (image tirée de l’article Lescaze, Bernard, « La seille, le coffre et la hallebarde », Passé simple, n°40, 2018, p.23).

Jeanne BAUD

dite Dame Piaget, ~1570-1630, héroïne de l’Escalade

Née probablement en 1570 à Genève et décédée en 1630 dans cette même ville, Jeanne Baud, aussi connue sous le nom de Dame Piaget, est une héroïne de la nuit de l’Escalade, lorsque les troupes du duc de Savoie attaquent Genève en 1602.

Très peu d’éléments sont connus avec certitude concernant son existence, où réalité et fiction semblent tisser une toile serrée. Jeanne Baud épouse un certain Julien Piaget en 1585, alors qu’elle est âgée d’une quinzaine d’années, et semble avoir résidé à Genève durant toute sa vie. Son mari est un riche citoyen genevois et un marchand de soie. Devenue veuve en 1609, Jeanne Baud poursuit la direction d’une compagnie commerciale de grande envergure avec Gabriel Barrilliet, ancien associé de son époux. À leur majorité, ses trois fils rejoignent cette affaire.

Aux côtés de la Mère Royaume (ou Dame Royaume), Dame Piaget constitue une des rares figures féminines de l’Escalade conservées dans la mémoire populaire. Elle a sa place lors de la commémoration de cet évènement qui se déroule à Genève chaque année en décembre. La Mère Royaume, qui a déversé une marmite brulante sur la tête d’un soldat savoyard vers la porte de la Monnaie, est bien davantage célèbre et occulte le geste de Jeanne Baud. En 1602, lorsque les soldats savoyards attaquent Genève, cette dernière aurait pourtant accompli un acte de bravoure et de défense comparable.

Selon l’anecdote, Jeanne Baud jette du haut de sa fenêtre la clé de la porte de l’allée où est située sa maison, à la limite de la ville, à ceux qui défendent Genève. Elle évite ainsi qu’ils soient tous massacrés en leur permettant de repousser les hommes de l’armée savoyarde se trouvant derrière la porte. Par ce geste, elle participe à une contrattaque décisive et joue ainsi un rôle dans la victoire des Genevois.es sur les envahisseurs lors de cette nuit mémorable. Par ailleurs, selon la légende, Dame Piaget aurait réussi à tirer contre sa porte d’entrée un meuble d’une extrême lourdeur, un coffre, certainement mue par un élan de crainte face à l’attaque savoyarde. Il aurait fallu plusieurs personnes le lendemain pour réussir à retirer ce meuble. Toutefois, les premiers récits de l’Escalade ne conservent nulle trace de cet acte, qui tient probablement de l’invention, tandis que la légende de la clé serait encore davantage récente. Pourtant, au XVIIe siècle, des témoins oculaires relatent le rôle de femmes durant l’Escalade, ce qui atteste de leur participation active lors de cet évènement, tout comme la chanson du Cé qu’è lainô consacre une strophe à la Mère Royaume. Présentant leurs actes comme remarquables, ces narrations répondent au besoin d’accorder une place aux femmes lors de cette nuit, palliant le silence des premiers récits officiels de l’Escalade. Toutefois, dans le même temps, ces évocations présentent cette participation comme extraordinaire et contribuent à en faire des figures d’exception, alors même que l’implication de femmes – souvent armées – était fréquente dans la défense des villes.

Sous la plume de certains historiens de l’Escalade, l’existence de Dame Piaget et de la Mère Royaume, en dehors de ces actes héroïques et de leur statut de femmes fortes l’espace d’une nuit, semble se résumer à la vie domestique et aux tâches familiales. Bien que peu d’informations ne subsistent à ce propos, l’entreprise commerciale de Jeanne Baud, sept ans après cette victoire genevoise, à la mort de son époux, vient contredire cette assignation des femmes à la seule sphère domestique. Dame Piaget meurt en 1630.


Biographie : Anne-Lydie Dubois

Bibliographie
  • Geisendorf, Paul-Frédéric, La vie quotidienne au temps de l’Escalade, Genève, Labor et Fides, 1952, p. 40-43.
  • Kissling, Claude, « La Mère Royaume », in Notrehistoire.ch (https://notrehistoire.ch/entries/EgNBpN4dW2Z).
  • Lescaze, Bernard, « La seille, le coffre et la hallebarde », Passé simple, no 40, 2018, p. 23-25.
  • Mottu-Weber, Liliane, « Gagner sa vie », in Mottu-Weber, Liliane, Piuz, Anne-Marie, Lescaze, Bernard, Vivre à Genève autour de 1600. La vie de tous les jours, Genève, Slatkine, 2002, p. 191-211.
  • Mottu-Weber, Liliane, « Les femmes dans la vie économique de Genève, XVIe-XVIIe siècles », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, vol. 16, no 4, 1979, p. 381-402.
  • Viennot, Éliane, « Les femmes dans les ‘troubles’ du XVIe siècle », Clio. Histoire, femmes et sociétés, no 5, 1997, p. 79-96.

Emplacement temporaire des plaques du Projet 100Elles*

Femme* ayant obtenu un nom de rue officiel

100 Elles* - Le recueil

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L’avenue Ruth Bösiger ? La rue Grisélidis Réal ? Ou le boulevard des Trente Immortelles de Genève ? Si ces noms ne vous disent rien, c’est parce que ces rues n’existent pas. Ou pas encore... À Genève, l'Escouade a fait surgir cent femmes* du passé où elles avaient été enfouies, en installant de nouveaux noms de rues dans la ville. Le livre 100Elles*constitue le recueil de ces cent portraits illustrés.

Cent biographies de femmes ayant marqué l'histoire du VIe au XXe siècle pour lutter contre l'effacement des figures féminines de la mémoire collective et les mécanismes patriarcaux de l’historiographie.

Cet ouvrage est le fruit d'un travail collaboratif, local et inclusif. Rédigé par des historiennes de l’Université de Genève et réalisé sous la direction de l’Escouade, il est illustré par dix artistes genevoises, alumnae de la HEAD – Genève, partenaire du projet.

Ouvrage disponible en librairie et sur le site des Editions Georg: https://www.georg.ch/livre-100elles