Claudine LEVET

Claudine LEVET

aout 1535, prédicatrice protestante

Figure méconnue de citadine engagée dans la diffusion des idées protestantes, Claudine Levet s’est notamment distinguée à Genève comme prédicatrice dans la période qui précède l’adhésion de la République à la Réforme en 1536. Les notices qui la concernent sont rares : à ce jour, les dates exactes de sa naissance et de sa mort ne sont pas connues.

En 1532, Claudine Levet est l’épouse d’Aymon Levet, un apothicaire (profession qui correspond à celle de pharmacien), bourgeois de Genève et capitaine du quartier de Saint-Gervais, où le couple réside et tient banc et boutique. Claudine Levet sait bien lire, ce qui, chez une femme, ne passe pas inaperçu même dans les familles de l’élite politique. Elle est très intéressée par les questions religieuses. Initialement hostile aux idées protestantes, elle se convertit et finit par convaincre son mari ainsi que ses proches de la suivre. Durant les troubles civils qui éclatent à la suite des prédications des premiers réformateurs, Claudine Levet les accueille dans sa maison. Louée pour sa capacité à expliquer les Écritures, elle organise avec sa belle-sœur Paule Levet et d’autres femmes de son milieu, dont la militante protestante Henriette Bonna, un groupe d’activistes religieuses. Connue pour ses idées, elle échappe de justesse à un lynchage en 1533. Peu après, elle met à l’épreuve ses qualités oratoires en intercédant pour son mari, qui a été blessé et emprisonné. En raison de son rôle charismatique, les magistrats de la ville lui confient, le 28 aout 1535, la charge de prêcher aux sœurs clarisses de la rue Verdaine, pour les convaincre de sortir du cloitre. Les religieuses n’apprécient cependant pas sa prédication ni celle de la théologienne Marie Dentière qui l’accompagne, et la rencontre se termine en dispute.

Après le passage à la Réforme, l’encadrement religieux des fidèles à Genève est confié exclusivement aux pasteurs. L’activité de prédication de Claudine Levet devenant informelle, il est alors difficile de retrouver sa trace. Quelques rares documents témoignent cependant de la reconnaissance sociale dont elle bénéficie toujours. Devenue veuve en 1537, « la Levetaz » ou « donne Claudine » (telle qu’elle est mentionnée dans les sources) est nommée tutrice de ses enfants Guillaume et Gabriel Levet, administre leur patrimoine et achète une maison.

Les années qui suivent sont plus difficiles. En 1540, alors qu’elle est mariée avec un chirurgien nommé maitre Pierre, Claudine Levet se présente avec ses quatre enfants en bas âge devant les magistrats de la ville. Elle accuse son époux de maltraitance et demande à être protégée, ce qui lui est accordé. Son mari est admonesté. Une année après, c’est le chirurgien qui la dénonce, parce qu’elle refuse de faire ménage commun. Selon son mari, elle fréquenterait par ailleurs des personnes soupçonnées d’anabaptisme, un courant théologique radical, à cette époque interdit et persécuté. Claudine Levet déclare de son côté refuser la cohabitation parce qu’elle ne veut pas commettre une faute morale, en l’accusant à son tour d’adultère et de bigamie. Les membres du Conseil mènent l’enquête jusqu’à Chambéry pour établir le bienfondé de sa dénonciation. Finalement, ils demandent au couple de se réconcilier. En raison du refus opposé à cette requête, Claudine Levet passe quelques jours en prison. La dénonciation d’anabaptisme semble ne pas avoir eu de conséquences, mais, à une date inconnue, Claudine Levet quitte Genève et s’établit dans le canton de Vaud. Un troisième mariage, avec Jean de Tournay, pasteur à Aigle et proche collaborateur des réformateurs Pierre Viret et Jean Calvin, témoigne une fois de plus de son intégration sociale et de son implication religieuse. Les dernières traces d’elle proviennent du contrat de mariage de sa fille Esther de Tournay le 6 juin 1563 à Genève. Claudine Levet y est mentionnée comme étant décédée.

Ces informations restituent d’une façon anecdotique le parcours de Claudine Levet, qui se distingue par une autonomie certaine dans ses choix de vie et par son engagement théologique affirmé. Peu visible sur le plan institutionnel, l’impact social de son activité, tout comme celle d’autres femmes de son réseau social, a dès lors été sous-estimé sur le plan historique.


Biographie : Daniela Solfaroli Camillocci

Sources
  • Froment, Antoine, Les actes et gestes merveilleux de la cité de Genève, nouvellement convertie à l’Evangille faictz du temps de leur Réformation et comment ils l’ont receue, éd. Gustave Revilliod, Genève, J.-G. Fick, 1854, p. 15-21 et p. 44.
  • Registres du Conseil de Genève à l’époque de Calvin, dir. Archives d’État de Genève, vol. 1 et 2, Genève, Droz, 2003.
Bibliographie
  • Galiffe, James A., Notices généalogiques sur les familles genevoises. Depuis les premiers temps jusqu’à nos jours, vol. 3, Genève, Ch. Gruaz, 1836.
  • Naef, Henri, Les origines de la Réforme à Genève, vol. 2, Genève, Alexandre Jullien, 1968.
  • Solfaroli Camillocci, Daniela, « Les Genevoises prêchent. Activisme et résistances des femmes », in Grosse, Christian, Dunant, Anouk, Fornerod, Nicolas, Gross, Geneviève, Solfaroli Camillocci, Daniela, Vernhes Rappaz, Sonia, Côté chaire, côté rue. L’impact de la Réforme sur la vie quotidienne à Genève (1517-1617), Genève, La baconnière, 2018, p. 91-105.

Emplacement temporaire des plaques du Projet 100Elles*

Femme* ayant obtenu un nom de rue officiel

100 Elles* - Le recueil

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Cent biographies de femmes ayant marqué l'histoire du VIe au XXe siècle pour lutter contre l'effacement des figures féminines de la mémoire collective et les mécanismes patriarcaux de l’historiographie.

Cet ouvrage est le fruit d'un travail collaboratif, local et inclusif. Rédigé par des historiennes de l’Université de Genève et réalisé sous la direction de l’Escouade, il est illustré par dix artistes genevoises, alumnae de la HEAD – Genève, partenaire du projet.

Ouvrage disponible en librairie et sur le site des Editions Georg: https://www.georg.ch/livre-100elles